La pratique peut sembler contre-intuitive. A priori, le but d’une entreprise est de faire du profit, et elle attend un bénéfice en retour de chaque centime investi. Pourtant, des dizaines de milliers de sociétés françaises ont donné en 2017 entre 3 et 3,6 milliards d’euros à des associations ou projets d’intérêt général, selon le baromètre d’Admical, une association de promotion du mécénat d’entreprise. Un montant en constante hausse depuis une dizaine d’années.
Le mécénat est une pratique souvent méconnue du grand public, soudainement mise en lumière après l’incendie de Notre-Dame-de-Paris quand de grandes entreprises ont offert plusieurs centaines de millions d’euros pour la reconstruction. Quitte à faire de l’ombre aux plus petites : les montants qu’elles donnent sont mécaniquement bien moins importants, mais les TPE-PME représentent 96 % des donateurs.
Réduction d’impôt
Si, à l’image de Notre-Dame ou encore de la Fondation Louis-Vuitton à Paris, le mécénat culturel est celui qui attire le plus l’attention, il ne représente que 25 % des dons, derrière les projets à vocation sociale (28 %), selon Admical. Viennent ensuite les domaines de l’éducation (23 %), de la santé (11 %) ou encore de l’environnement (4 %). Les projets sont, selon les sociétés, directement financés ou menés via une fondation d’entreprise.
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Qu’est-ce qui motive donc ces agents économiques à donner ? On imagine facilement que dans leur quête du profit, ces sociétés ont recours au mécénat pour la réduction fiscale à laquelle il donne droit – 60 % des dons dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires. Ce n’est pourtant pas le cas, affirme Admical. « La déduction fiscale est importante, ça montre que l’État accompagne la démarche, mais elle n’est pas essentielle », confirme Jean-Luc Petithuguenin, président-fondateur de Paprec, qui donne chaque année 1 % de son chiffre d’affaires au titre du mécénat, soit 1,7 million d’euros.
Sponsoring caché ?
Bien sûr, faire du mécénat bénéficie à l’image de l’entreprise, qui peut soutenir des causes ou des projets qui lui tiennent autant à cœur qu’à ses clients. Au risque parfois d’en profiter pour faire du greenwashing, à l’image de BNP Paribas, pointée du doigt par des étudiants et professeurs de l’université Paris Sciences et Lettres pour son financement d’une licence de développement durable alors qu’elle est critiquée pour ses investissements massifs dans les énergies fossiles, où elle investit quatre fois plus que dans le renouvelable, selon Oxfam.
« Contrairement au sponsoring, la dimension communication est accessoire dans le mécénat, même si elle existe », tempère Jean-Luc Petithuguenin. « Ce n’est jamais le moteur premier, abonde Sylvaine Parriaux, déléguée générale d’Admical. La motivation principale des entreprises, c’est la contribution à l’intérêt général. » Est-ce pour autant la mission des entreprises ? Jean-Luc Petithuguenin dit croire « aux entreprises citoyennes qui doivent participer à un certain nombre d’actions dans la cité ». « Quand un projet nous plaît, on le finance, pour accompagner les gens qui font des choses bien, et il y en a plein en France. »
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Sans compter que le mécénat « crée un sentiment d’appartenance et de fierté chez les collaborateurs », fiers de voir leur entreprise s’engager pour l’intérêt général, souligne Sylvaine Parriaux. C’est d’autant plus vrai dans le cas du mécénat de compétences, quand les entreprises mettent à disposition des associations leurs collaborateurs et leur savoir-faire.
Prévenir les excès
Mais même si le coup de pouce fiscal de l’État n’est pas le moteur du mécénat selon les entreprises – au moins un tiers des mécènes ne le demandent d’ailleurs même pas – certaines entreprises en profitent bien. Le montant des réductions d’impôts accordées au titre du mécénat a été multiplié par dix en dix ans, selon un récent rapport de la Cour des comptes. En 2017, le dispositif a coûté 900 millions d’euros au fisc.
Dans son rapport, la cour pointe surtout du doigt les 24 plus grosses entreprises mécènes qui ont à elles seules représenté 44 % de la dépense fiscale en 2016. Et s’interroge sur des projets d’ampleur tels que la fondation Louis Vuitton dont les travaux ont coûté 790 millions d’euros, contre 100 millions prévus à l’origine : un surcoût en partie supporté par l’État via la réduction fiscale du mécénat, à hauteur de 518,5 millions d’euros entre 2007 et 2017. À elle seule, la fondation a ainsi représenté « environ 8,1 % de la dépense fiscale totale pour l’État au titre du mécénat des entreprises sur la période », signale la Cour des comptes.
C’est justement pour éviter ces potentiels excès que le gouvernement a souhaité réformer le dispositif de réduction d’impôt, instauré en 2003 par la loi Aillagon. Les nouvelles dispositions, intégrées au projet de loi de finances 2020 en discussion à l’Assemblée mi-novembre, prévoient notamment de ramener le taux de défiscalisation de 60 % à 40 % au-delà de deux millions d’euros de dons. « C’est important de poser un cadre, justifie dans une interview au Point Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation et de la Jeunesse, en charge de cette réforme. Le risque, sinon, c’est que les Français finissent par rejeter le principe même du mécénat. »
Réforme risquée
Cela fait pourtant grincer des dents du côté des associations. Chez Article 1, qui accompagne des jeunes issus de milieux populaires vers l’insertion professionnelle, on estime que la réforme « va peser sur toutes les associations d’intérêt général ». « On perd les gros financeurs, s’alarme Boris Walbaum, co-président de l’association, et aller chercher des petits montants auprès des TPE, ça prend du temps et ça coûte cher. »
De son côté, Admical dénonce « la vision très court-termiste du gouvernement pour récupérer des recettes fiscales, alors que sur le long terme, le mécénat évite des coûts pour la collectivité » qui compensent la dépense fiscale engagée. « Certes, la réforme ne concerne que très peu d’entreprises, mais ces gros donateurs représentent une grosse partie du budget global du mécénat, souligne Sylvaine Parriaux. Même pour les entreprises qui ne sont pas concernées, ça envoie un très mauvais signal et fait planer un climat de suspicion. Le dispositif fiscal n’est jamais à l’origine du don, mais il permet de donner plus. » Elle estime surtout que le mécénat « n’est pas une dépense fiscale sur le long terme, car cela évite des coûts à la collectivité. »
IZland BipBip & Source